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--ALSACE CULTURE BILINGUE-- René Schickele Gesellschaft
6 décembre 2019

Une manifestation (pour les langues régionales) pour rien ?

Le 30 novembre dernier se sont rassemblées, à Paris, rue de Grenelle, plusieurs délégations régionales venues défendre, face à la puissance publique, ce qu'elles considèrent comme un fleuron de leur patrimoine : leur langue, sa transmission, son enseignement... Se retrouvèrent quelques 600 à 800 personnes, avec banderoles, costumes, flonflons et bonne humeur. Corses, basques, occitans, bretons et, parmi elles, une délégation alsacienne forte d'une centaine de personnes, dont les voix n'ont pas manqué de se joindre aux clameurs. Le cortège ne put hélas réaliser son dessein de manifestation, à savoir "encercler" par une chaîne humaine l'ilôt où se trouve le ministère. Une délégation d'une demi-douzaine de personnes fut reçue par quelques haut-fonctionnaires. Elle fut écoutée poliment. Fut-elle entendue? Jean-Marie Woerling, qui conduit la délégation alsacienne, en doute (voir son éditorial ci-dessous). L'absence quasi-générale du personnel politique régional et local a été pointée. La manifestation fut-elle pour autant un coup d'épée dans l'eau? Nous voulons penser le contraire. L'Etat en effet n'ignore pas que chaque manifestant qui s'est déplacé en représente 100 autres...

Rêvons: "Nous partîmes 500, quand, par un prompt renfort, nous nous vîmes 3.000 en arrivant au port…" (Corneille)

 

 

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Texte intégral du tract appelant les Alsaciens à manifester : Pourquoi nous manifestons

Le Gouvernement (actuel mais aussi ses prédécesseurs) continue de marginaliser l’enseignement des langues régionales en dépit des dispositions constitutionnelles et législatives.

En vertu de l’article L 312-10 du Code de l’Education « Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage ». L’Education nationale a ainsi une obligation d’accorder une priorité à l’enseignement des langues régionales. 

Ces principes ne sont pas mis en œuvre :

      -    Les textes conservent à l’administration un pouvoir discrétionnaire quant aux   modalités de mise en œuvre de l’enseignement de et en langues régionales : cet enseignement n’est pas un droit pour les parents et les élèves mais une faculté dont la mise en œuvre est laissée à l’appréciation de l’administration. 

-       Elle n’assure pas de manière suffisante la formation des enseignants qui pourront enseigner dans les langues régionales et minoritaire. Il existe un manque criant d’enseignants formés à cette tâche.

-       Elle ne créé pas en quantité suffisante les postes destinés à l’enseignement dans ces langues.

-       Les conditions d’enseignement de et dans ces langues sont souvent déficientes, par exemple du fait du regroupement dans une même classe d’élèves de niveau linguistique très différents et avec des effectifs alourdis par classe.

-       Il n’existe pas de vision globale en ce qui concerne la promotion des langues régionales ou minoritaire ; des programmes flous et des objectifs vagues caractérisent les conventions signées avec les collectivités territoriales concernées, qui le plus souvent ne sont pas correctement appliquées.

-       L’administration continue de s’opposer au développement de l’enseignement en immersion dans la langue régionale

-       La réforme du baccalauréat va encore marginaliser davantage les langues régionales en rendant plus difficile l’accès à ces enseignements. Pour bénéficier de ces derniers, il faudra le plus souvent choisir la spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales ». Mais dans la pratique,  peu d’établissements offriront cette spécialité. La langue régionale sera souvent en concurrence avec l’anglais.  

-       L’enseignement de l’histoire et de la culture régionale est relégué dans des options marginalisées, avec des coefficients de moins en moins attractifs.

Dans le cas de l’Alsace, où la langue régionale est constituée par l’allemand standard et les dialectes alémaniques et franciques, l’enseignement de cette langue aurait du être facilité par le fait qu’elle est aussi  une grande langue internationale et qu’elle était pratiquée par une partie significative de la population. Or, les compétences linguistiques des élèves sont allées constamment en diminuant ces 20 dernières années. Les classes bilingues paritaires, crées en retard par rapport à d’autres régions, ne se développent que lentement et avec une efficacité limitée faute d’enseignants qualifiés. Elles ne concernent que 17 % des élèves au primaire. Au collège, la parité n’est plus respectée et seuls 4% des élèves sont concernés par ces classes. Au lycée la filière bilingue n’existe plus, les classes ABIBAC correspondent à un modèle élitaire qui n’existe au demeurant que dans 18 lycées. La possibilité de recourir à des enseignants allemands a été mal utilisée notamment en raison de la non-reconnaissance des diplômes et par l’offre de contrats peu attractifs. Les mesures pour favoriser l’accueil en dialecte dans les petites classes sont pratiquement inexistantes. L’exploitation des activités périscolaires aux fins d’un renforcement de la langue régionale n’est guère utilisée. L’utilisation au primaire de l’enseignement dit « extensif » de (théoriquement) trois heures hebdomadaires conduit le plus souvent à des résultats très décevants faute d’enseignants qualifiés et d’objectifs. Ainsi, ce n’est pas seulement la préservation d’un héritage culturel mais aussi les besoins de l’activité économique et les perspectives d’emploi qui se trouvent compromis. Les insuffisances sont repérées depuis longtemps mais les mesures appropriées n’ont pas été prises par un appareil à la fois inadapté et de mauvaise volonté, malgré le dévouement de nombreux enseignants. Avec la réforme du bac, on n’aura que peu d’établissements qui proposeront la spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales en allemand. Contrairement à d’autres régions, la langue régionale pourra encore être enseignée dans le cadre du tronc commun (LVA ou LVB), mais ce choix va en diminuant faute d’une offre vraiment attractive. Les écoles associatives d’ABCM-Zweisprachigkeit sont malgré, ou à cause, de leurs bons résultats toujours encore vues de travers et le rectorat de Strasbourg continue à présenter à l’égard de ce secteur associatif une hostilité qui n’existe plus dans aucune autre région.  

Cette situation perdure depuis des années sans changement significatif. Parents et enseignants s’épuisent à faire évoluer une machine bloquée avec laquelle il ne semble possible que de faire des progrès minimes au prix d’efforts considérables.

Il est évident que rien de fondamental ne changera significativement tant que la loi ne reconnaitra pas un vrai droit à l’enseignement en langue régionale, que la gestion du système sera laissée à des instances centralisées et étatiques fondamentalement hostiles aux langues régionales, que des mesures spécifiques ne seront pas prises pour former les enseignants en langue régionale et que ne sera pas adopté un programme global de soutien à ces langues avec des objectifs précis et une planification sérieuse dans le cadre d’une décentralisation authentique.  

 

Compte-rendu de Jean-Marie Woehrling, à paraître dans le L&S112: Les leçons d’une manifestation

Toutes les associations de soutien aux langues régionales de France ont appelé à manifesté le 30 novembre devant le ministère de l’éducation. Une occasion de démontrer la solidarité qui unit ces langues déclarées « patrimoine se la France » par l’article 75-1 de la Constitution, mais marginalisées par l’éducation nationale. Un moment de retrouvailles pour les défenseurs de ces langues venus des différents coins du pays. Un temps important de concertation durant la réunion qui a suivi la manifestation. Un beau soleil d’hiver pour réchauffer les manifestants…

Mais aussi l’occasion de vérifier l’indifférence polie des représentants du ministère qui ont reçu quelques instants la toute petite délégation autorisée à traverser l’imposant cordon policier autour du ministère. Aucun changement à attendre de l’administration tant que nous serons si peu soutenus : seulement deux parlementaires avec nous : le député européen François Alfonsi et le député français Paul Molac, auquel il faut rendre hommage pour leur engagement… Et bien trop peu de manifestants pour être pris aux sérieux. De l’Alsace, si attachée à son bilinguisme, ne sont venus qu’une cinquantaine de personnes !

A défaut de déplacement sur les lieux, on aurait pu espérer que nos élus expriment au moins formellement leur soutien comme dans d’autres régions. Nous ne dénombrons que 6 parlementaire signataires de l’appel (Eric Straumann, Jacques Cattin, Frédéric Reiss, Patrick Hetzel Laurent Furst, Raphaël Schellenberger). Seulement deux élus municipaux (Philippe Huber, Anastasie Leipp). Merci à ceux-là. Mais aucun élu départemental ou régional alsacien parmi les signataires !!! Comment s’imaginer que l’appareil éducatif se sente tenu de mieux traiter notre langue régionale, si nos élus soutiennent si peu le mouvement en sa faveur ?

L’occasion aussi de constater, dans nos discussions avec les représentants d’autres langues régionales, la chance que nous avons et que nous utilisons si mal : alors que dans la réforme du bac, ces autres langues régionales sont reléguées dans des enseignements de spécialités non disponibles et dans des options inattractives, notre langue régionale, l’allemand,  peut faire partie du tronc commun obligatoire comme langue vivante (A ou B). Certes, une modalité souvent mal exploitée, mais dont aimeraient bien disposer d’autres langues régionales ! Le fait que l’allemand soit reconnu langue régionale de l’Alsace est une  opportunité considérable dans notre système d’enseignement public. Sans cette reconnaissance, notre situation linguistique serait encore plus misérable…Avis à ceux qui voudraient expulser l’allemand de la définition de notre langue régionale !

  

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